Le temps des asiles – Institut Hongrois de Paris

Március 10-étől május 21-éig látható a kiállításunk Párizsban.

 

Dr. Faloux Juli megnyitóbeszéde 2016. március 10-én:

 

Bonsoir à tous, bienvenue à nos deux commissaires d’exposition, Judit Faludy et Monika Perenyei ainsi qu’à leurs hôtes à l’Institut Hongrois, János Havasi et Judit Baranyai.

 

Je vais essayer de ne pas vous fatiguer avec un discours d’ouverture fastidieux, seulement vous dire quelques mots pour partager avec vous l’aventure extraordinaire qui commence lorsque vous franchissez le seuil de cette exposition, vous faire part de l’émerveillement et de l’émotion qui m’ont saisis en voyant s’installer sur les murs, dans les salles, tout ce que vous verrez exposé.

Imaginez que vous arrivez dans un « kacsalábon forgó kastély », un château qui tourne autour des pattes de canard, comme dans les contes populaires hongrois. Imaginez deux bonnes fées quittant Budapest, chargées de lourds cartons et de caisses, avec dans leur besace des « hamuban sült pogácsa », des fougasses cuites dans les cendres… traversant monts et forêts, bravant mille dangers, et tempêtes, pour arriver jusqu’ici. De leurs malles, surgissent tableaux, dessins, photos et objets divers et avec ceux-ci, apparaissent les Esprits des artistes qui les ont conçus et réalisés.

Et ces femmes et ces hommes qui étaient enfermés dans des asiles, tout au long du 20e siècle, réalisent le rêve « fou », d’être libres, de voyager, de venir à Paris, capitale tant convoitée par les artistes. Car ce sont des artistes à n’en pas douter, étant donné la façon dont les psychiatres hongrois ont considéré et collectionné leurs œuvres depuis le tournant du 20 e siècle. Ils viennent même, ce soir, rejoindre ici, à côté du Musée du Luxembourg, les célèbres artistes hongrois et européens dont les chefs d’œuvre sont arrivés hier, de Budapest !

Ils rejoignent tous ces artistes hongrois de leur temps –sur cent ans de vicissitudes historiques- qui n’ont eu de cesse d’arriver à Paris par « la Gare de l’Est » et d’arpenter le Boulevard St Michel, que chante le poète Ady Endre, pour s’enivrer de liberté créatrice.

 

Le « Temps des Asiles », c’est un temps représenté par une soixantaine d’œuvres réalisées et collectées sur tout le 20e siècle, entre 1908 et 2006, dans les deux hôpitaux psychiatriques de Budapest, construits dans les années 1860-1880. Le premier Musée est ouvert dès 1931 à Angyalföld dans un faubourg de Budapest pour ouvrir l’asile de façon à ameliorer sa mauvaise réputation auprès de l’opinion publique. Le Dr Selig, le fondateur avait pour modèle Prinzhorn, l’auteur de l’ouvrage « Expression de la folie. Dessins, peintures, sculptures d’asiles. » Le musée d’Angyalföld a été transféré en 1936 à Lipótmező, la Maison Jaune, réunissant les collections des deux Hôpitaux Psychiatriques, jusqu’à la fermeture de Lipótmező en 2007 à la suite de quoi la collection est conservée par l’Académie Hongroise des Sciences.

Cette exposition nous raconte l’histoire de la folie au 20e siècle en Hongrie, mais aussi l’Histoire avec un grand H qui s’y retrouve en filigrane. Pinel admiré par les fondateurs de la psychiatrie hongroise a depuis longtemps libéré les fous de leurs chaînes et ils ne sont plus assimilés à des criminels.

Mais rejetés hors de la société dans les asiles, les fous et leurs psychiatres constituent une communauté, ce dont le Musée est le reflet original, car aux œuvres des patients sont adjoints des documentations exceptionnelles par les psychiatres qui font des photos et collectionnent les articles des journeaux grand public au sujet de la psychiatrie. Ces parias sont generalement exclus par les autres, par la société, et trouvent refuge, « asile », là où l’autoritarisme ambiant ne les brime plus.

La figure emblèmatique qui éclaire le propos de cette exposition, est celle du Dr .István Hollós. Il a été medecin directeur de l’Asile de Lipótmező, la Maison Jaune, jusqu’en 1925. Congédié en raison de ses origines juives, ce paria, lui-même, marquera cependant de son influence les psychiatres des décades suivantes et encore jusqu’à aujourd’hui. Le Dr Hollós pose ses idées, ses questionnements en langage accessible à tous dans l’ouvrage « Mes adieux à la Maison Jaune » , que vous pouvez lire dans la traduction française de Judith Dupont dans le numero 100 de la revue du Coq Heron. Le mouvement psychanalytique hongrois est ouvert aux problèmes d’ordre social, Hollós en parle dès 1914 . Ses réflexions l’amènent à penser que des facteurs individuels ET sociaux sont concomitamment en jeu dans la maladie mentale, et il est aidé en cela par la révolution artistique et psychanalytique du premier quart du 20e siècle . Le Dr Hollós va plusieurs fois à Vienne et analysant de Federn, poursuit un dialogue avec Freud, tandis qu’à Budapest il est le collègue et ami de Ferenczi, dont il prend la suite à la tête de l’Association Psychanalytique hongroise en 1933. Le respect, la tolérance, (vous verrez la chapelle de l’asile de Lipótmező : elle est œcuménique), la considération dont jouissent les malades, reflètent cet âge d’or de la culture hongroise qu’est le début du 20e siècle et dont les influences persisteront malgré les régimes bien plus autoritaires après 1920. Les psychiatres sont empreints de psychanalyse, cultivés, avides de voyages dans les capitales européennes, ouverts sur le monde. Hollós publie dans une revue litteraire prestigieuse telle que « Nyugat » (« Occident »). Mais il reste avant tout un médecin attaché à l’idée de soigner son semblable et ce de façon humaniste. Vous pouvez relire « Cure d’ennui », les nouvelles réunies par Michelle Moreau Ricaud sur l’influence de la psychanalyse chez les grands auteurs hongrois du début du 20e siècle comme Kosztolányi, Krúdy, Csáth. Et aussi souvenez vous de l’exposition récente « Allegro Barbaro » au Musée d’Orsay, des « 8 », peintres hongrois du début du 20e siècle, contemporains de Bartók.

C’est dans cette effervescence que Hollós, ses successeurs et leurs patients ont pu être considérés comme des ancêtres annonçant l’anti-psychiatrie dans des asiles où regnaient respect et tolérance. Les photos nous montrent une vie quotidienne où soignants et soignés oeuvrent ensemble pour leur communauté avec des ateliers qui vont des tâches nécessaires de tous les jours, au soi-disant superflu des ateliers de peinture.

Pour vous emmener à la Maison Jaune, à Lipótmező, je vous proposerai de monter à l’étage, et vous verrez tout de suite la belle maquette de l’édifice de l’hôpital, qu’il faut imaginer tel un palais, entouré de très grands jardins . C’est un patient anonyme qui a réalisé cette œuvre en 1917. Et pour l’ambiance neuro-psychiatrie teintée de surréalisme, vous avez à côté, une tête au cerveau démontable, et sa larme à l’oeil, témoignant tout autant de l’humour que de l’enseignement, dispensé au sein de l’hôpital.

Puis les œuvres se côtoient, où les artistes avérés ayant étudié et pratiqué les arts plastiques, croisent les neophytes qui découvrent le dessin ou la peinture et dont depuis Dubuffet on appelle « art brut » , les productions.

Parfois anonymes, car la collection a durement subi les épreuves de la guerre, les noms sont généralement connus et affichés de ces artistes, qui de tous temps, à Lipótmező ne sont pas considérés dans leur production plastique comme des « cas », ni leurs œuvres symptomatiques ,où à visée diagnostique ou interprétative. Ces travaux sont clairement réunis en tant qu’œuvres artistiques dans le Musée de la Maison Jaune, Lipótmező. Les œuvres d’artistes, se révélant comme tels à Lipótmező, sont parmi d’autres, l’œuvre la plus ancienne, avec le beau voilier qui figure sur l’affiche, un des dessins de 1901, d’un marin, Kirnig Jakab, du temps où la mer hongroise existait encore. Puis, bien d’autres trains, bateaux, dirigeables et autres fusées, et tous les rêves d’évasion comme le paysage lunaire de Bàrtfai Jozsef (qui a étudié l’astronomie, puis à Munich le dessin, avant d’être interné de 1913 à 1938), caractéristiques de ces patients se mettant à utiliser le dessin comme moyen d’expression. Mais aussi, ce sont de gracieuses et ondoyantes figures féminines sorties de l’imagination d’une femme de ménage, Madame Schultz ; ou des dessins humoristiques féroces, façon revues satiriques des années 50, prenant le triste sort des patients et aussi des psychiatres, comme objet de risée.

Un grand tableau d’artiste interné, László Sándor János, datant des années 30, dépeint les visions à lui dictées par ses compagnons. Tel Füssli, il nous entraîne dans un cauchemard où le dortoir peuplé d’animaux féroces, et où rôde la mort semble évoquer les souffrances de l’univers du delirium tremens . Il apparaît que les artistes internés étaient nombreux et pouvaient continuer à travailler à l’hôpital . ( Hölczel Albin , sculpteur, interné, avait même son propre atelier à l’hôpital et a sculpté l’autel de la chapelle de Lipótmező)

Un autre artiste, Pál István, se retrouve hospitalisé dans les années 20. Plus tard, placé en famille d’accueil en province, il est transféré dans un hôpital de la région pour être ensuite déporté et assassiné. Deux de ses travaux effectués dans les années 20 à la Maison Jaune, à Budapest, sont montrés ici. Un salon avec un billard où l’ambiance rappelle celle des fameux cafés de Budapest, n’était la silhouette du médecin en blouse blanche. La maîtrise de la composition et des couleurs évoque de façon émouvante la sincérité et la confiance. De même pour le portrait d’un patient, en 1929, où Pál note qu’il est le Van Gogh hongrois . Il y a quelques années lors d’une grande exposition Van Gogh, à Budapest, Pál a pu figurer parmi les artistes héritiers de celui dont il se revendiquait. Mais on sait que Pál vivait dans la peur et que ce n’est pas sans raison qu’il voulait être baptisé et avoir l’Amiral Horthy pour parrain… Ami de Füst Milán, publié dans « Périscope », revue d’avant-garde, il mourut en déportation suites aux rafles massives en province. Tout indique que la surpopulation de la Maison Jaune, à Budapest, pendant la 2e guerre, pouvait être causée par l’asile donnée aux juifs qui devaient se cacher.

Des ateliers de peinture aux ateliers d’art-thérapie de la Maison Jaune, on peut admirer les modelages des années deux mille d’un patient présent en 2006 et qui a donné son autorisation à la Collection pour l’exposition à Paris (il vit et crée actuellement en milieu « ordinaire », sorti des institutions). L’ambiance libérale de Lipótmező a tout naturellement conduit à ajouter ces ateliers d’art-thérapie aux ateliers de peinture et aux ateliers occupationnels. Ceci se prolonge dans les services de psychiatrie qui ont reçu les patients, une fois la Maison Jaune fermée. Autant l’esprit des occupants de Lipótmező, était tourné vers Paris, autant nous avons de la chance, nous parisiens, d’avoir enfin accès au souffle puissant de la culture hongroise - à travers « l’écriture » de sa folie-, venant du fin fond du siècle dernier. Nos évolutions proches et parallèles de cultures européennes, se distinguent cependant car la pénétration psychanalytique en Autriche-Hongrie a précédé celle parvenue en France. Et « l’art des fous », très tôt pris en compte, notamment par les artistes en France, (dès les années 20), n’a eu finalement sa grande Collection à l’Hôpital Sainte Anne qu’en 1950. (bien qu’au début du siècle des collections de taille moindre étaient déjà ébauchées). De plus Le Musée hongrois dès 1931 est constitué d’œuvres locales, formant une unité qui n’existe pas à Ste Anne avec la Collection constituée de « pièces rapportées » et réunies à la suite de l’Exposition de 1950. Mais notons aussi que les freins mis par les régimes autoritaires hongrois ont eu raison de bien des avancées du début du 20e siècle. L’art-thérapie qui se développe actuellement, ici comme là-bas, est garant de liberté et de créativité. La diversité des méditions artistiques redonne la « parole » à ceux qui choisissent d’autres voies d’expression que verbale.

Les échanges qui nourrissent une culture ont été presqu’inexistants entre les communautés psychiatriques française et hongroise dans la 2e moitié du 20e siècle en ce qui concerne les institutions et les productions artistiques.

C’est grâce au Colloque International annuel du « Divan sur le Danube », se tenant à Budapest, qu’on a pu voir les expositions conjointes des ateliers d’art-thérapie de patients de Lipótmező et de l’Hopital Psychiatrique de Pierrefeu du Var , avec un projet de jumelage qui a échoué du fait de la fermeture de la Maison Jaune. Ces expositions organisés de France par le Dr Jean-Yves Feberey et Carla Van der Werf et du Musée de la Maison Jaune et de la galerie « Tárt Kapu galéria », par Edith Plesznivy, en 2006-2007, se sont poursuivies les années suivantes dans divers lieux à Budapest après la fermeture de l’Asile, avec la collaboration de Judit Faludy , qui recevait aussi les participants du colloque, au sein de la Collection Historique Hongroise à l’Académie des Sciences.

Puissent nos deux fées, Judit et Monika, être remerciées pour leur dévouement très éclairé et en même temps affectueux, à ces êtres enfermés, qui ne sortaient que par la magie de leur créativité et qui sont parvenus aujourd’hui jusqu’à nous.

 

 

 

 

 

 

 

 

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